mercredi 30 septembre 2009

Mon premier

J’ai 34 ans et je ne mourrai jamais du virus H5N8 et pourtant, ce soir, cette ordure va me sacrifier. Je regarde ma main qui tient le stylo, elle est blanche voir même cadavérique, je n’y vois presque plus mes veines. Il m’a volé tout mon sang, oui il me l’a volé en le pompant jusqu’à la moelle! Il ne m’a laissé que le strict minimum pour me maintenir en vie jusqu’à sa stupide cérémonie. J’aimerais savoir combien de temps sont nécessaires au corps humain pour refaire entièrement ses 5 litres de sang ? En Aurai-je assez pour l’éclabousser lorsqu’il m’égorgera ce soir ? J’espère bien que j’aurai au moins cet ultime plaisir ! Il n’a pas pris la peine de m’attacher cette fois-ci, il sait bien que mes forces, mon énergie et mon espoir ont disparus, ou plutôt volés tout comme mon sang.
J’avais commencé à écrire sur du papier à carreaux mais les lignes se sont vite mises à danser, à s’entrecroiser, à s’emmêler devant mes yeux, c’est l’effet secondaire de l’anémie, je ne le savais pas mais maintenant je suis au courant. Alors j’ai pris une rame de papier blanc, elle contraste ironiquement avec le rouge qui tapisse mon lit et les murs de ma chambre mais je vais pouvoir commencé mon récit. Je veux laisser ce témoignage au cas où Bill m’aurait mentit et que quelqu’un m’attende dehors. Ne vous offusquez pas si vous rencontrez par-ci par-là des taches de sang, c’est le mien et il paraît qu’il vaut de l’or !

A mon grand malheur j’ai toujours eu de l’eczéma, tous les corps de médecine ont essayé de me soigner mais aucun n’y est parvenu. De plus j’avais souvent des infections respiratoires, symptôme d’une faiblesse immunitaire or l’eczéma est une maladie auto-immune et ce paradoxe résume, en fait, bien l’état de ma santé jusqu’à mes 32 ans, eczéma ou bronchite? C’était à moi de choisir. Puis j’eu une énorme poussée au printemps, de la tête au pied je n’étais plus qu’une croute où suinté par endroit un liquide jaunâtre, les démangeaisons étaient telles qu’il me semblait qu’une fourmilière avait élu domicile sous ma peau. Je ne pouvais plus bouger, à chaque mouvement les plaies se retrouvées à vif et les démangeaisons en devenaient encore plus insupportables tant que cela en fut possible ! Je suis resté dans le noir pendant presque un mois, la douleur et la honte de mon corps meurtrit m’obligeant à rester hors de porter du regard des gens. Et puis la crise s’estompa d’elle-même mais l’eczéma ne disparut pas complètement, comme si il voulait se rappeler à mon bon souvenir, ici ou là subsistait quelques plaques de faible étendue. L’automne venu je m’attendais à avoir mon rhume annuel qui allait traîner jusqu’au printemps avec une ou deux surinfection aux bronches mais non ! Rien ! Pas même lors de la grosse épidémie de grippe, ni même un petit mal de tête. Je vécus le plus bel hiver depuis un sacré bout de temps ! Je pense que mon système immunitaire avait enfin finit de se développer, seul subsistait mon eczéma mais il était très amoindrit. Le printemps arriva sans crier garde, d’un froid sec et intense le temps vira en une semaine aux chaleurs moites d’une avant saison trop chaude et trop humide. Forcément avec un climat aussi propice aux développements des maladies, les épidémies se succédèrent les unes aux autres. Etonnement je fus épargné par tous ces virus et autres microbes. Ce furent les personnes faibles, les jeunes enfants et les personnes âgées qui en subirent les conséquences. C’était une vraie hécatombe, on comptait les décès par dizaine. Pire que lors de la canicule de 2003. On étouffa l’affaire quand la coupe du monde de foot commença, elle tombait pile poil au bon moment : « panem et circenses ». Les saisons se succédèrent les unes aux autres mais le temps resta pourrit jusqu’à l’automne. On avait réussit à enrayer les épidémies mais il restait un virus grippal que la médecine avait du mal à endiguer. Ce n’était pas un virus virulent et les autorités le laissèrent latent. C’est à ce moment-là que ce petit virus inoffensif choisit de se transmuter en virus H5N8.
Je me souviens du premier mort c’était un médecin urgentiste et les feuilles des arbres tombaient inexorablement annonçant la fin des longues journées. Il fut foudroyé par la maladie en moins de 3 jours ! Lors de l’autopsie, ces collègues découvrirent avec stupeur que ses organes avaient semble-t-il moisis, une sorte de champignon vert avait envahi tout son réseau sanguin. Naturellement tous crut avoir affaire à une mycose. Le système sanitaire du pays mis donc en place une vigie sensée surveillé les spores de ce fameux champignon. Lors de la semaine suivante le virus frappa mortellement à six reprises. Les autorités décrétèrent l’état d’alerte pour pandémie. Alors que la médecine s’obstinait à trouver un moyen d’éradiquer la mycose, le virus se propagea rapidement du nord au sud et de l’est à l’ouest, le pays était touché, la France entra dans une phase de terreur. Les malades tombaient comme des mouches et ce n’est pas qu’une expression, j’ai vu une boulangère tomber raide morte derrière son comptoir et la minute d’après ce fut le tour à la dame qui se tenait juste derrière moi dans la file d’attente ! Je décidais donc de m’isoler quelque temps à la campagne. Au bout de quinze jours je n’avais plus de nouvelles de ma famille, elle fut décimée comme les autres, je pus quand même voir une dernière fois un de mes neveux et mon frère. Je les ai enterrés là où ils sont tombés, le père et le fils se tenant encore la main. J’ai longuement pleuré, j’ai même était tenté par le suicide mais, peut-être par lâcheté, je me suis persuadé que la vie valait le coup de se battre pour elle. Et puis le virus s’échappa du territoire, les pays limitrophes avaient eu beau fermer leur frontière ça ne l’a pas arrêté. Ce fut d’abord l’Espagne puis l’Italie et l’Allemagne qui furent atteints. En un mois l’ensemble de l’Europe fut touché par la pandémie. Et moi je me sentais de plus en plus seul. Je suis parti chercher de la compagnie, d’abord dans la vallée mais les rues étaient désertes, ici ou là subsistaient des restes de cadavres qui faisaient encore la joie des rats et des corbeaux. Etrangement l’odeur était douce, légèrement sucrée comme l’haleine d’un diabétique à l’hygiène buccale irréprochable. Comme je ne trouvais pas d’âme qui vive, je poursuivis ma route jusqu’à Lyon. Je pensais trouver un dispensaire ou quelque chose comme ça mais rien ! Que des corps inertes jonchant les trottoirs, les abris bus, les halls d’immeuble, les magasins et je devais enjamber tous ces malheureux pour progresser dans la ville. On aurait dit qu’ils avaient été frappés par la mort en même temps, certains avaient encore leur téléphone portable dans la main mais la teinte verdâtre des cadavres ne laissait aucun doute sur le scénario de cette hécatombe. J’ai visité la mairie, la préfecture, les lieux de cultes qui étaient de loin les endroits où je vis le plus de cadavres mais à mon grand regret je ne rencontrais personne. Il me fallait fuir ce cimetière à ciel ouvert. Je trouvais donc un véhicule tout terrain en état de fonctionner et partis pour la capitale, là j’espérais trouver des rescapés comme moi. Il y avait environ 300km entre les deux villes, 300km déserts de toute humanité, en revanche j’ai du rouler sur une dizaine de cadavres pendant le trajet, c’est étonnant le bruit que peut faire un corps lorsqu’on lui passe une tonne dessus ! C’est un peu comme le « splatch » que ferait une brebis chutant d’une paroi de 100m, on entend chaque os se broyer et les intestins exploser sous l’impact. Les poils de mes bras se dressent encore en y repensant !

Ah, Paris ! La ville des lumières ! Je fondais beaucoup d’espoir sur mes futures rencontres. Je trouvais autant de corps abandonnés qu’à Lyon, la ville semblait aussi désertée. Et pourtant je vis de la vie que j’aurais mieux de fuir. La première silhouette humaine que j’aperçus fut un cosmonaute, du moins je le crus au premier abord. Cet homme portait une combinaison rigide l’isolant hermétiquement de la tête au pied. Il avançait vers moi en faisant des grands signes et en baragouinant des mots qui n’avaient aucun sens pour moi. Il m’attrapa par le bras et m’entraînait vers son espèce de Hummer kaki. Je lui intimai l’ordre de me lâcher, il se retourna brusquement et à travers la visière je pus lire une expression de surprise dans son regard. Il baragouina encore quelques mots mais cette fois-ci ils ne m’étaient pas destinés, il devait surement appeler son responsable pour prendre des consignes. Il me dit, dans un anglais approximatif, qu’il était Islandais et qu’il cherchait la source du virus dans un des laboratoires de recherche parisien. Je le sentais nerveux et quand je lui en demandai la cause, il m’attrapa de nouveau par le bras et ce coup-ci je me suis laissé conduire, après tout il m’emmenait vers le monde des vivants, du moins le pensai-je à ce moment-là. Pendant le trajet le docteur Olafur m’expliqua que le virus avait atteint l’Asie et l’Afrique, il ne subsistait que quelques survivants dans des contrées les plus isolées, oasis qui seront bientôt envahis eux aussi. Que la veille un cas avait été découvert sur le continent américain et que d’après leurs estimations il ne faudrait que deux mois pour faire disparaître l’humanité entière de la surface du globe, leurs estimations étaient bonnes malheureusement. Quand je lui réitérai ma question à propos de sa nervosité, il me regarda gravement et j’aperçus cette fois-ci la petite lueur verte fatale dans le blanc de l’œil, synonyme du voyage sans retour.
Je demandai combien de personnes avait survécut à la maladie, la réponse claqua comme un fouet. J’aurai dû partir en ce moment-là, j’aurai dû me douter que ce n’était pas par altruisme si cet homme m’emmenait avec lui, que ce n’était pas pour me sauver mais bien pour trouver le moyen de se sauver lui. Oui mais, voilà, j’ai toujours était un doux rêveur, naïf et optimiste naît, qualités qui peuvent vite devenir un fardeau face à des personnes sans scrupule. Aucune ! Personne n’avait guérit de cette maladie, aucun survivant, la population française avait était rayée de la carte en une saison. C’est lorsque je mesurai toute l’ampleur du désastre que je compris que j’avais quelque chose de spéciale. Spécialité que les scientifiques s’efforceront de reproduire par la suite mais sans succès, à mon grand damne.
Le docteur Olafur stoppa son engin devant une grande place où s’affairaient une dizaine de cosmonautes secondés par deux ou trois robots. Ils s’entêtaient à monter une sorte de dôme blanc que le vent tentait d’arracher du sol, les pans de la tante claquaient l’air et les élingues fouettaient tout ce qui se trouvait à moins d’un mètre du sol. Après dix minutes d’un combat acharné les hommes gagnèrent sur Eole et l’abri était fixé. Les robots commencèrent à brancher des tuyaux et petit à petit le dôme pris un air de méduse géante, comment aurai-je pu savoir que ce dispositif était pour moi ? Un homme, dont la combinaison était visiblement trop grande pour lui, s’approcha de moi tout en me dévisageant, le curieux ne prit pas la peine de me saluer et déjà il scrutait le fond de mon œil droit. La luminosité de son ophtalmoscope m’agaça ostensiblement et d’un geste calme de la main je lui écarter son appareil, il ne parut pas y prêter attention et recommença son auscultation. Il me considérer avec autant de gratitude qu’il en avait eu auparavant pour ses souris de laboratoire!
J’appris plus tard que cet homme était le scientifique le plus reconnut de part le monde, il était d’origine brésilienne et approchait la soixantaine, il s’appelait Vicente Minas mais on le surnommait Doc Mine, surnom qu’il affectionnait particulièrement. Il s’était spécialisé dans les maladies virales depuis que son plus jeune frère avait été foudroyé par une encéphalite aigüe. Il avait enfin finit son examen oculaire et la joie illuminait son visage. Par de grands gestes il appela ses collègues, il avait l’air aussi excité qu’un adolescent racontant son dépucelage à ses potes de lycée. A chaque parole enthousiasme du Doc le groupe se retournait vers moi avec un air curieux et plein d’espoir, toutes ces attentions me mettaient vraiment mal à l’aise. La situation commençait sérieusement à me peser et j’entrepris de m’éclipser au moment où les scientifiques se penchaient autours d’un microscope. Passé le sas, je ne fis pas deux pas que deux énormes molosses se posèrent devant moi, ils n’avaient pas l’air agressif mais leur taille, leur détermination et surtout leur croc me suffirent pour rebrousser chemin. Dépité et agacé je me dirigeais vers le Doc Mine afin d’avoir de plus amples explications. Je l’interpellais en posant une main sur son épaule, il se retourna visiblement agacer et m’écarta gentiment du bras, il me prenait vraiment pour un gosse ou pire pour un chien! Je sentais que la situation pouvait vite tourner au très désagréable et je m’efforçais de garder mon calme. A ma deuxième intervention le Doc me repoussa beaucoup plus violement et je vis rouge, j’empoignai un tournevis et je perforai sa combinaison. Je n’ai eu que le temps de voir les scientifiques s’affolés autours de leur leader avant qu’un éclair blanc me fit perdre connaissance.

Le réveil fut douloureux. Mes tempes gonflaient et dégonflaient à la mesure de mon rythme cardiaque. Petit à petit ma vue revint, j’étais allongé et ne semblait pas blessé ni attaché. Au pied de mon lit se trouvait un tas de linge soigneusement plié, rien n’y manquait : chaussette, slip, jean, tee-shirt et un pull. Je les ai enfilés avec plaisir, ils sentaient le propre et l’assouplisseur et comme pour la madeleine de Proust, son odeur me fit me replonger dans ma tendre et douillette enfance. Je pensais être dans un hôpital or la seule chose qu’avait en commun cette pièce avec une chambre d’hôpital s’était la couleur prédominante, le blanc. Il n’y avait pas de fenêtre, ce qui m’étonna qu’à moitié, mais un habile jeu de rayure rendait la pièce plus vaste qu’elle ne l’était réellement. Au centre de la pièce trônait une table ronde sur laquelle un repas encore fumant m’attendait. J’avais un appétit d’ogre, j’engloutis les plats plus que je ne les ai mangés, ce qui me valut un bon mal d’estomac qui persista pendant plus d’une heure. Sur le mur face au lit était fixé une console rabattable, je l’ouvris et y découvris un bloc note, une rame de papier blanc et un stylo, ceux dont je me sers actuellement pour écrire ces lignes. On avait posé en vrac des livres de poche sur le côté droit du lit. J’en pris un au hasard, c’était « Les misérables » de Victor Hugo traduit en anglais par un certain Peter Ford, c’était bien le comble ! Je fouillais le reste du tas et trouvais 7 livres en français, la bible (ça va de soit !), 2 pièces de Molière, les misérables (ah, quand même !), les fables de la Fontaine et les deux premiers opus de la saga des Rougon-Macquart. C’est grâce à ces livres que j’ai pu endurer tous les sévices qu’ils m’ont infligés, ils m’ont permis de garder une certaine notion du temps et de la réalité. Il y avait 2 portes sur le mur de gauche, l’une avec une poignée et l’autre non. Derrière celle que j’ai pu ouvrir il y avait un petit cabinet de toilette pourvu d’une cabine de douche, d’un lavabo et d’un WC mais étrangement il n’y avait aucun miroir. L’autre porte m’a donné bien des cauchemars par la suite, c’est par là qu’ils entrent pour me voler mon sang.
J’avais à peine fait le tour de la pièce que la porte sans poignée s’ouvrit, Doc Mine se tenait dans son encablure visiblement heureux de me voir réveillé. Il ne me salua pas, il se dirigea sur moi, m’attrapa le bras, remonta ma manche et examina la pliure de mon coude. Il tapota ma veine et sortit de sa poche une aiguille accrochée à un tuyau. Avant même que j’ouvre la bouche pour exprimer mon désaccord, l’aiguille était plantée dans mon bras et un ruisseau de sang coulait jusqu’à un réservoir que mon tortionnaire portait en bandoulière. J’avais l’impression qu’il me volait ma vie, chaque centilitre du précieux liquide rouge que je perdais représentait un moment de mon enfance puis de mon adolescence jusqu’aux jours de ma mort proche. Pris dans mon délire je regardai dans mon bras le cathéter et son tuyau, ils se transformaient lentement en une sangsue très longue et très avide de sang, sa soif me semblait inextinguible. Sa bouche encrée dans ma veine pompait, pompait et je voyais ma vie s’écoulait doucement mais inexorablement vers le réservoir. De dégoûts j’arrachai le cathéter et un long filet rouge se déversa sur le sol. Doc Mine était visiblement mécontent de mon geste, il me lança des jurons en portugais, ses bras gesticulant au-dessus de la tête. Il siffla, et les têtes des deux molosses apparurent à travers la porte, il finit par me montrer une paire de menotte comme pour étayer un peu plus son ordre. Je compris parfaitement le message, résigné je baissais la tête et tout en regardant la pointe de mes pieds je tendais mon bras en pâture.

Je ne sais pas combien de temps je suis resté cloitré dans cette prison blanche mais à chaque endroit de mon corps où saillait une veine un hématome se formait. On m’avait piqué pratiquement partout, les bras, les jambes, les doigts, les orteils, le ventre, les oreilles et même le sexe ! Je n’en pouvais plus ! Il fallait que ça cesse, ce n’était plus humain ! Je voulais sortir, voir le ciel bleu, sentir l’odeur de l’extérieur, de la vie et plus celle du sang, plus celle de la mort, vivre quoi! La prochaine fois que Doc Mine se présenterait devant moi, je lui sauterais au cou, je lui arracherais les oreilles avec mes dents, je l’étranglerais avec son tuyau, je lui briserais les os à coups de pied, je lui… et tout en me délectant de mes pensées je m’allongeais sur le lit, les bras en croix et fixais le plafond trop blanc pour en être supportable. J’avais encore un léger rictus de plaisir quand Doc Mine entra. Je me suis levé brusquement prêt à l’éventrer avec mes propres ongles quand j’aperçus derrière lui une personne que je ne connaissais pas, j’aurais mieux fait de les tuer tous les deux à ce moment-là. L’inconnu était un petit bonhomme tout rabougrit, les épaules voutées, il ne devait avoir plus que la peau sur les os. Les traits de son visage lui en faisaient saillir chaque os et cartilage, il portait bas ses lunettes et ses oreilles disproportionnées lui donnaient un air de Jumbo. Je lui donnais dans les cinquante ans mais j’appris par la suite qu’il était de deux ans mon cadet ! Le blanc de ses yeux virait au vert mais il semblait bien supporter la maladie. Et pour mon malheur il parlait parfaitement le français et savait manier la langue de Molière tel le manipulateur qu’il était. Je l’ai écouté.
Il me proposa qu’en échange de ma collaboration il m’offrirait tout ce dont je souhaitais, il en avait les moyens ! Je ne voulais rien de matériel et il ne pourrait pas m’apporter ce qui me manquait, la liberté. Il insista. Je voulais savoir ce qu’il entendait par « collaboration » avant d’exiger quoi que ce soit. Alors il me raconta ce qu’était devenu le monde. On était au début du printemps et il subsistait moins d’un millier de personnes sur terre. Les recherches avaient permis de survivre presque un mois au virus mais on en mourrait encore. Aucun moyen ne permettait de s’isoler du virus, aucune combinaison ne protégeait de la contamination, seul le vide absolu le pouvait. Tous les survivants étaient condamnés sauf un. Cette personne avait développé des anticorps qu’il était impossible à reproduire synthétiquement. Cet être unique possédait un système immunitaire parfait mais un brin capricieux, provoquant chez son hôte des poussées virulente d’eczéma. Je savais qu’il parlait de moi et je le laissais continuer son laïus. Il m’apprit que le docteur Olafur était décédé 2 jours après notre rencontre, j’en fus peiné et il me confia à demi-mot que le Doc Mine ne verrait pas la fin de la semaine, j’en fus soulagé et heureux! Mais je ne comprenais toujours pas ce qu’il attendait de moi.
Il s’appelait Bill Evans et c’était un milliardaire américain, l’un des plus riches, il exulta en prononçant ces mots mais moi je m’en fichais complètement de ce qu’il fut dans une autre vie. Il était condamné et déjà je voyais des minces filets verts sur ces mains et sur son visage. Il avait peut-être eu toute la fortune du monde dans le passé mais aujourd’hui je possédais une chose qu’il ne pourrait jamais se payer : un avenir ! Je ne pensais pas à ce moment-là qu’il en serait jaloux au point d’en perdre la raison. Il voulait échanger son sang contre le mien, je ne compris pas tout de suite le principe. En fait il voulait que nous nous branchons et que je fabrique du sang pour nos deux corps, j’eu beau protesté en disant que cela m’était physiquement impossible, il me cracha alors à la figure un juron des plus gras et me dit que si il mourrait alors je mourrais aussi. Il me montrait son vrai visage et je refusai le deal en lui disant que je voulais bien me sacrifier pour sauver l’humanité mais pas pour une seule vie qui plus est la sienne. Le Doc Mine me ceintura par surprise, je me débattis comme un diable mais il m’avait déjà passé les menottes aux poignées. J’assainis un coup de tête au scientifique et me jeta vers la porte qui était restée ouverte, les deux gros molosses m’attendaient bien sagement assis au travers du passage, mon coup d’état tombait à l’eau. Je me retrouvais ligoté sur le lit, un tuyau me relié à Bill. J’aurais voulut faire comme l’héroïne de « La nuit des temps » de Barjavel, m’empoisonner le sang pour faire crever cette ordure ! Au bout de quelque temps ma vision se brouilla et une migraine carabinée envahit mon crâne. Je commençais à perdre mon sang froid, mes veines devenaient bleues et ma peau perdait sa couleur chair. Je me mis à hurler de peur et je perdis aussitôt connaissance.

J’ouvris les yeux, j’étais encore attaché au lit et le tuyau était resté branché à mon bras. J’étais de nouveau seul. Que c’était-il passé ? La transfusion avait-elle réussit à soigner cette ordure ? J’espérais bien que non ! On avait posé un plateau repas des plus garnit à côté du lit, en tendant les bras je pouvais atteindre les couverts et le coin du plateau. Je devais manger pour ne pas mourir d’anémie. Je ne sais pas combien de temps ils m’ont laissé attacher mais Bill revint quatre fois pour sa transfusion. La troisième fois Doc Mine ne l’accompagnait pas, il était mort du virus H5N8, j’en ai rit jusqu’à en pleurer ! Je pense que je commençais à devenir fou mais pas autant que Bill. Quand je lui demandais si le traitement était efficace, il me gifla le visage de sa main squelettique ! Il allait mourir, peut-être dans les jours qui suivraient, sa peau entièrement verte ne trompait pas, il ne pouvait espérer survivre une semaine de plus. Je n’avais jamais vu une personne vivante atteinte à ce point du virus.
A la dernière transfusion Bill me regarda avec un rictus vert aux lèvres qui m’effraya beaucoup, il avait perdu toute sa raison, son corps entier était recouvert d’une fine couche de mousse verte. Il dégageait une odeur nauséabonde de moisit et à chaque mouvement de ses membres une perle verte s’en détachait pour finir en une flaque sur le sol, il mourrait par morceau. Il me parla de la volonté divine, de faire un sacrifice, il parla d’autel et de païen, d’apocalypse et de tous les maux de l’univers. Sa conversation n’avait plus aucun sens, il divaguait autant à cause de la maladie qu’à cause de sa frayeur de sa fin imminente. Le virus ravageait inexorablement son cerveau. En revanche je compris que le H5N8 avait était créer dans un des laboratoires de Bill pour en faire une arme biologique, il ne devait atteindre que l’espèce humaine tout en épargnant les autres êtres vivant, ce qui lui avait rapporté une petite fortune. Ses chercheurs planchaient sur l’antidote en manipulant les nombreuses éprouvettes sans grande précaution lorsque l’une d’elle glissa des gants et vint s’exploser sur le sol en répandant son dangereux contenu dans le laboratoire. Mais à cause d’une malheureuse économie de bout de chandelle la chambre de décontamination n’avait pas été suffisamment étanche pour confiner le virus. Celui-ci s’échappa en condamnant l’humanité toute entière. A force de jouer avec le feu on finit par titiller le diable et notre espèce en paye aujourd’hui le prix fort, pensais-je.
Bill m’annonça que c’était la dernière transfusion alors il pomperait le maximum de sang et il me laisserait juste de quoi survivre jusqu’au soir pour la grande cérémonie du sacrifice. Je rétorquais que c’était stupide de tuer la poule aux œufs d’or, que je pouvais être encore utile à des survivants. Le rire rouillé qui me répondit me fit penser à la vieille roue à eau que mon grand-père faisait tourner une fois par an, son grincement était si désagréable que les chiens du village en hurler à la mort. Des survivants ! Il en restait en tout et pour tout trois, lui, un de ses sbires et moi. Pendant qu’il parlait je regardais la porte qui était resté ouverte, je pouvais distinguer les têtes des deux molosses, ils ne m’effrayaient plus autant que ça à présent, ils me semblaient même plus humains que mes tortionnaires. Ce fut la transfusion la plus éprouvante, Bill continuait à marmonner des choses dans toutes les langues et dans son délire il m’avoua que son garde du corps serait certainement mort ce soir. Les papillons blancs se mirent à danser devant mes yeux, je luttais pour ne pas tomber dans les pommes, j’avais une frousse terrible de ne jamais me réveiller cette fois-ci puis ce fut le trou noir.

Je me suis réveillé il y a environ deux heures, mes mains étaient détachées et mon sang coulé encore du tuyau, je l’ai arraché en grognant de douleur. Mon lit semblait avoir été le lieu d’un carnage extrêmement sanglant, les tâches rouges cerises s’étalaient jusqu’à mi hauteur des murs. L’odeur d’hémoglobine en devenait insupportable, j’en vomis de dégoûts, il y avait trop de sang et pourtant c’était bien le mien. La porte était restée ouverte et les molosses toujours à leur place. J’étais incapable de faire un geste, j’étais bien trop faible pour cela. J’avais décidé d’attendre Bill et de m’en servir comme bouclier contre les chiens, il me devait bien ça cet enflure! C’est pour patienter jusqu’à là que je décidais de mettre sur papier cette histoire au cas où… peut-être qu’il m’aurait mentit et qu’il y ait des survivants quelque part, je ne dois pas être le seul. Ca paraît stupide après coup mais je préfère me berçait d’illusion plutôt que d’avoir à affronter la vérité en face. Suis-je lâche ? Non je ne le pense pas. Vous savez l’esprit humain est capable de bien des choses pour se protéger quand il est confronté à l’horreur, à l’impensable! Comment réagiriez-vous si vous apprenez que vous êtes le seul survivant d’une pandémie ? Ne feriez-vous pas travailler votre imagination ? Et puis le fait d’avoir mis sur papier mon histoire m’a permis de mieux comprendre comment j’en suis arrivé là.

J’attends toujours Bill. J’ai terminé mon récit et il me semble qu’une éternité s’est écoulée depuis. Maintenant j’ai récupéré pratiquement toutes mes forces. Les molosses se sont rapprochés de l’entrée, l’un a même une patte à l’intérieur de la pièce. Ils me regardent en bavant comme un boulimique se délecte en pensant à un énorme baba au rhum. Pour la première fois je voudrais que Bill rentre et éloigne ses fauves. Ils doivent faire dans les 50kg chacun, je ne ferai pas le poids en cas d’attaque. Il faut que je trouve un moyen de sortir de ce piège, que je m’enfuis, courir le plus loin possible de ce maudit endroit. Il y a toujours cette odeur de sang qui me donne un goût de ferraille dans la bouche, les tâches ont maintenant coagulées et ont pris une étonnante couleur bordeaux.

Je crois maintenant que Bill ne viendra plus, il y est passé aussi. Malgré toute sa richesse, toute sa volonté et toute son intelligence, il est mort comme sont mortes les personnes qu’il exploitait, il est mort comme tous les autres hommes, il est mort du virus H5N8. Je devrai en être content, il n’y aura pas de sacrifice ce soir. Oui mais voilà ! Je me retrouve seul, coincé dans une pièce que j’ai finit par haïr et face à deux chiens de garde gros comme des veaux qui n’ont pas été suffisamment nourris. Et pour mon malheur cette insoutenable odeur de sang aiguise un peu plus leur appétit.

Les deux molosses sont dans la pièce maintenant, l’un reste devant l’entrée, l’autre contourne lentement le lit pour attaquer sur mon flanc droit. Mourir comme ça, c’est trop bête ! Mais au moins je ne mourrai jamais du virus H5N8 !